La décarbonation ne se mesure pas qu'en tonnes de CO₂. Derrière chaque éolienne, chaque véhicule électrique, chaque batterie, il y a des flux physiques de matières : néodyme, dysprosium, lithium, cobalt. Sans ces minerais, pas de transition.
Or la demande européenne en terres rares va être multipliée par 6 d'ici 2030 et par 7 d'ici 2050. Pour le lithium : ×12 en 2030, ×21 en 2050. Ces chiffres ne sont pas monétaires — ce sont des tonnes, des volumes, des contraintes physiques que les marchés financiers seuls ne peuvent pas anticiper.
Les terres rares, ces minerais stratégiques aux noms souvent méconnus (néodyme, dysprosium, lanthane...), sont la véritable monnaie d'échange de la transition énergétique et numérique. Indispensables à la fabrication d'éoliennes, de véhicules électriques, de puces électroniques, et d'équipements de défense, elles sont au centre d'une course à la souveraineté industrielle.
Aujourd'hui, l'Europe importe 98 % de ses terres rares raffinées d'un seul pays. Cette concentration rend toute projection climatique vulnérable à un simple décret d'exportation chinois.

Face à cette réalité, l'UE a adopté en mai 2024 un règlement aux cibles explicitement matérielles :
Piloter la transition par les seuls indicateurs carbone ou financiers revient à conduire avec un angle mort. Les données physiques — flux de matières, intensité matérielle, disponibilité des ressources — sont le socle d'une comptabilité environnementale robuste.
C'est précisément ce que nous construisons : des outils qui ancrent la décision dans le réel.
Pour atteindre ces seuils, le Critical Raw Materials Act s'articule autour de quatre axes majeurs, visant à créer une filière européenne complète et résiliente, de la mine au produit fini.
L’une des faiblesses historiques de l'Europe résidait dans la lenteur des procédures administratives. Le nouveau règlement s'attaque directement à ce goulot d'étranglement :
L'autonomie ne signifie pas l'autarcie. L'Europe reconnaît qu'elle ne peut pas extraire toutes les matières premières nécessaires sur son sol. Une stratégie diplomatique et commerciale agressive est mise en place pour diversifier les sources d'approvisionnement et réduire la dépendance à la Chine.
Des partenariats stratégiques sont ainsi activement négociés et renforcés avec des pays riches en ressources comme le Canada, l'Australie, le Chili, l'Ukraine, le Kazakhstan et la République démocratique du Congo. L'idée centrale est de ne plus jamais dépendre d’un seul pays pour plus de 65 % de ses besoins.
L'économie circulaire est une chance pour l'Europe, pauvre en ressources minières vierges. Le règlement insiste lourdement sur la nécessité de maximiser le recyclage de ces matériaux précieux, notamment à partir des déchets électroniques et des batteries usagées. De plus, l'innovation technologique est encouragée pour trouver des matériaux de substitution ou développer des procédés industriels qui nécessitent moins de terres rares.
Enfin, le plan met en place un système de surveillance accru de la chaîne d'approvisionnement pour anticiper les chocs et les ruptures. Un stockage stratégique de certaines matières premières est également envisagé pour amortir les crises immédiates, offrant un filet de sécurité aux industries en cas de tensions géopolitiques soudaines.

Le lancement du Règlement sur les matières premières critiques est bien plus qu'une simple réglementation industrielle. Il marque une prise de conscience brutale de l'UE face aux réalités de la géoéconomie et de la nécessité de transformer sa politique environnementale en une politique de souveraineté.
En investissant massivement dans son sol, en accélérant ses procédures et en tissant de nouveaux liens stratégiques à travers le monde, l'Union européenne tente de se libérer d'une épée de Damoclès chinoise. Le défi est immense, mais la voie est tracée : l'avenir industriel de l'Europe dépendra de sa capacité à transformer ces minerais critiques en véritable levier d'autonomie.